Introduction

Daech : la fin d'une « prophétie »

« Croyez-vous vraiment que la défaite réside dans la perte d’une ville ou d’un territoire ? […] Pensez-vous que vous serez victorieux et que nous serons défaits si vous prenez Mossoul, Syrte ou Raqqa et même toutes les villes, et que nous retournons à notre condition initiale ? Sûrement pas ! »

 

Abu al-Adnani, ancien porte-parole de Daech

Communiqué radiophonique du 22 mai 2017

L’État islamique appartient déjà au passé. À l’été 2014, Abu Bakr al-Baghdadi avait proclamé l’établissement d’un califat entre l’Irak et la Syrie. Pour le djihadiste belge revenant Yassin, c’était alors « quelque chose d’un peu mystique ; une prophétie que les gens attendaient. C’est un peu de folie, presque une transe collective, qui fait qu’il faut le faire et que tout va bien se passer »[1]. Pourtant, un peu plus de trois ans après, l’État islamique se retrouve anéanti. Son slogan des débuts, « baqiya wa tatamaddad » (Demeurer et s’étendre ») – soit les paroles qui avaient convaincu des milliers d’étrangers de faire la Hijrah jusqu’au pays de Cham – ne représente plus que l’échec d’une « utopie malheureuse ». À son apogée, le territoire du califat s’étendait sur plus de 240 000 km² et regroupait un peu moins de 10 millions d’habitants[2]. Aujourd’hui, son influence et son contrôle militaire dans la région ne représentent quasiment plus rien. Après avoir perdu les villes de Mossoul, Raqqa et Deir ez-Zor, le groupe terroriste est contraint de trouver refuge dans les provinces désertiques de l’Irak et de la Syrie. Daech se retrouve ainsi menacé de revenir à sa situation d’avant 2014, lorsque l’organisation n’était qu’un groupe clandestin qui évoluait de manière dispersée dans l’environnement désertique de la province irakienne d’Al-Anbar. De plus en plus fragilisé, l’organisation terroriste n’aura donc d’autre choix que de survivre sans assise territoriale.

Avec la perte du contrôle des grandes villes et des ressources régionales, Daech se voit privé d’une grande partie de ses capacités d’auto-financement, notamment via les extorsions et les impôts imputés aux populations du califat, dont le montant représentait fin 2015 près de 33% d’un budget annuel estimé à environ 2,4 milliards de dollars par le Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT)[3]. Les bombardements russes et occidentaux ainsi que la fermeture des itinéraires de contrebande ont conduit l’organisation à perdre l’intégralité de ses puits pétroliers et à ne plus pouvoir en vendre les productions. Par ailleurs, le quotidien américain The Wall Street Journal a révélé que les forces spéciales françaises recrutaient des soldats irakiens pour tuer des ressortissants français membres de la hiérarchie de Daech, et ce afin d’empêcher leur retour en France pour y perpétrer des attentats[4]. Ainsi, en l’espace de trois ans, le groupe terroriste est passé du statut d’armée en pleine expansion, à celui d’un groupe en déroute et assailli de toutes parts.

 

Daech apparaît alors totalement encerclé. Dès la libération partielle de Mossoul, l’envoyé de l’Organisation des Nations Unies en Irak avait déclaré que la défaite du groupe était imminente et que les jours du califat étaient désormais « comptés ». Un général irakien avait également affirmé que l’État islamique était alors en train de « rendre son dernier souffle »[5]. Cependant, ce furent bien davantage la destruction de la mosquée al-Nouri de Mossoul (lieu de la proclamation du califat) et surtout la libération de Raqqa (capitale d’où furent fomentés nombre d’attentats), Deir ez-Zor et Boukamal, qui symbolisèrent l’effondrement total de l’État islamique. Pour le géopoliticien Gérard Chaliand, « la bataille de Mossoul et celle […] de Raqqa constituent de sévères défaites qui détruisent deux éléments essentiels : la prétention à la territorialisation, qui était la grande innovation de Daech, et la disparition symbolique de la frontière entre l’Irak et la Syrie, héritée des accords Sykes-Picot [signés entre la France et le Royaume-Unis en 1916] »[6]. Perte des villes unes à unes ; principaux chefs abattus ; djihadistes étrangers visés par les forces spéciales ; exportation pétrolière démantelée ; ressources internes quasi-inexistantes ; combattants réfugiés dans le désert d’Al-Anbar : il est désormais évident que le groupe « État islamique » a perdu cette guerre régionale et que son assise territoriale a été dilapidée.

 

L’État islamique appartient donc déjà au passé. L’existence du Califat n’aura été qu’éphémère et l’annonce de sa défaite militaire va inéluctablement briser l’unité de l’organisation. Mais en avons-nous pour autant fini avec Daech et le phénomène djihadiste ? Infliger une défaite, c’est amener l’adversaire à se convaincre qu’il est défait et à le reconnaître. « Une bataille est perdue parce qu’on croit l’avoir perdue » disait déjà le comte Joseph de Maistre. Or, comment convaincre de sa défaite un ennemi dont l’idéologie lui permet de gagner les esprits au fur et à mesure qu’il enchaîne les revers et qu’il perd du territoire ? Comment imaginer un djihadiste admettre que Dieu a perdu la bataille et qu’il lui faut dès lors capituler sans réserve ? « Être tué est une victoire. Vous combattez un peuple qui ne peut connaître la défaite », affirmait Abu Muhammad al-Adnani, ancien porte-parole de l’État islamique dans la revue djihadiste « Dabiq »[7]...

[...]

La suite à lire dans "Après Daech, la guerre idéologique continue"...

 

 


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[1] David Thomson, Les Revenants, Paris, Seuil, 2016

[2] Kader Arif, Rapport d'information sur les moyens de Daech, Assemblée nationale, 13 juillet 2016, p.283

[3] « Le Financement de l’Etat islamique en 2015 – Rapport et Synthèse », Centre d’analyse du terrorisme, 1 juin 2016, http://cat-int.org/index.php/2016/06/01/le-financement-de-letat-islamique-en-2015-rapport-et-synthese/

[4] The Wall Street Journal, 29 mai 2017, p.14-15

[5] « Terrorisme. La Guerre sans Fin », Courrier international, n°1387 du 1er au 7 juin 2017, p.35

[6] Gérard Chaliand, « Le prestige de Daech n’est plus aussi grand », La Croix, 4 avril 2017, http://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Gerard-Chaliand-Le-prestige-Daech-nest-plus-aussi-grand-2017-04-04-1200837174

[7] Éric Lester, « La vraie nature de Daech », Slate.fr, 15 novembre 2015, disponible en ligne : http://www.slate.fr/story/109981/daech-vraie-nature